La solitude, maladie du siècle ?

Agnès lui rend visite les week-ends et prend soin de lui comme elle le peut. Mais André lui répète souvent : « mes enfants vivent loin, ils ne viennent pas souvent me voir, il n’y a plus grand monde qui s’occupe de moi maintenant que je n’ai plus mon épouse. Je me sens seul. » Au moment de quitter André, Agnès sent que ce départ est vécu comme un déchirement. 

Les personnes âgées sont très souvent concernées par l’isolement. La solitude, lorsqu’elle peut être dite, vient heurter les proches autant que la personne qui le vit. Perdre son lien social a des répercussions sur la communication, la qualité de vie mais également sur le bien être psychique et physique.

L’orthophoniste face à l’isolement des personnes âgées

L’orthophoniste intervient auprès de personnes présentant un handicap de communication qui peut augmenter ce risque d’isolement.

Voyons ensemble la situation de Bernard, veuf depuis 5 ans. Il présente une maladie d’Alzheimer. Il a bénéficié d’une prise en soins orthophoniques dès que le diagnostic a été posé. L’orthophoniste va contribuer à une bonne évaluation des capacités, à leur maintien, afin de rester le plus autonome possible. L’orthophoniste intervient pour maintenir ses capacités de communication et ralentir l’évolution de la maladie. Ensemble, Bernard, son entourage et l’orthophoniste ont travaillé dans son environnement pour que ce travail lui soit bénéfique dans son quotidien. Les premiers objectifs de sa prise en soins ont été de maintenir les capacités de Bernard à communiquer avec ses proches. Le but était de lui permettre d’aller vers les autres, d’utiliser tous moyens pour communiquer et sortir de son isolement. Pour son orthophoniste, cela est très important : « échanger et communiquer avec quelqu’un, quel que soit son âge ou son état de santé, c’est lui montrer de l’intérêt et reconnaître qu’il est important pour nous. C’est reconnaître que les personnes âgées ont énormément de choses à nous apporter et leur donner les moyens de le faire”. 

 Le rôle thérapeutique de l’orthophoniste

Sa séance d’orthophonie n’était donc en aucun cas un prétexte pour faire la conversation, se changer les idées et ne pas être seul. L’orthophoniste n’est pas là pour tenir compagnie aux patients. Les séances d’orthophonie sont prescrites par un médecin et à l’issue du bilan réalisé, l’orthophoniste fixe des objectifs précis avec le patient et sa famille.

Trouver un relais auprès des proches et des aidants

Les problèmes médicaux, le fait de ne plus pouvoir se déplacer en véhicule, le manque de temps et d’écoute de l’entourage viennent accentuer l’isolement des personnes les plus vulnérables.

Léon a fait un A.V.C (Accident Vasculaire Cérébral) et il est devenu aphasique. Dans un premier temps, les aidants ne connaissaient pas la manière dont ils pouvaient communiquer avec lui. Avant de mettre en place une prise en soins orthophoniques, Léon ne voulait plus parler et avait l’impression de ne plus avoir d’intérêt pour les contacts humains. Il s’était replié sur lui-même et s’était isolé de ses amis. Il ne répondait plus à leurs invitations à manger car faire la conversation était très difficile. Il se sentait jugé et n’acceptait pas que son entourage l’infantilise. « Je n’osais plus sortir, j’ai senti que mes amis me poussaient à marcher et qu’ils ne se rendaient pas compte que je n’avais plus les mêmes capacités qu’avant. Alors je restais chez moi, je n’avais même plus la force de sortir mes crayons pour dessiner alors qu’avant j’adorais cela. Quand le téléphone sonnait, je ne voulais même plus répondre. J’avais l’impression que mes amis s’éloignaient ».

Changer ses habitudes de communication

Fabienne, l’orthophoniste qui s’est occupée de lui, parvenait à le comprendre plus facilement et en lien avec son entourage, ils ont trouvé de quelle manière ils pouvaient se faire comprendre et le comprendre. Très vite, ses enfants ont appris à comprendre ces troubles dont ils n’avaient jamais entendu parler. Ils ont appris à connaître les difficultés de leur père, à les compenser, à s’adapter et mieux communiquer avec lui, en tenant compte de ses besoins et de ses envies. Ils sont devenus des experts des troubles de leur père, sans se sentir obligés de totalement le prendre en charge. « Qui mieux qu’eux pouvaient connaître ses goûts, son tempérament, ses centres d’intérêts » nous dit Fabienne. 

Les aides au quotidien et l’ouverture vers l’extérieur à la maison

La volonté de permettre à Léon de rester autonome le plus longtemps possible nécessite qu’il puisse continuer à avoir cette vie sociale sans avoir besoin de son orthophoniste.

Ses enfants, avec l’aide de l’assistante sociale, ont pu faire intervenir des auxiliaires de vie qui passent régulièrement au domicile de leur père. Elles viennent non seulement pour s’occuper de lui dans ses activités quotidiennes comme le repas ou la toilette, mais également passer du temps d’échange et de partage avec lui. Léon se plaignait souvent : « vous savez les jours se suivaient et il ne se passait pas grand-chose », il était essentiel qu’il puisse également sortir de chez lui et rencontrer des personnes de son âge et avec qui partager des centres d’intérêts. Maintenant, une fois par semaine, il va dans un accueil de jour où il passe la journée. Il peut y rencontrer d’autres personnes et partager des moments de jeux ou d’activités communes, qui contribuent à maintenir et renforcer son bien-être et ses capacités cognitives.

Les aides au quotidien et l’ouverture vers l’extérieur en maison de retraite

Pour Edith, L’important était que son chien puisse la suivre au moment de déménager dans une résidence pour personnes âgées. Même si maintenant elle côtoie davantage de personnes que lorsqu’elle vivait seule, le fait d’avoir son animal est un sujet de discussion et favorise les échanges. La personne vulnérable a en effet des droits prévus par la loi française pour lui permettre de maintenir ses choix le plus longtemps possible. « Mamie, elle radote » dit Lucas, son petit-fils, mais j’aime bien quand elle nous parle des histoires du passé ». Sa mère lui explique : « Si elle répète les mêmes choses, c’est qu’elle a du mal à formuler ses phrases. Si elle aime tant parler, c’est aussi pour sentir qu’elle peut partager et sentir les autres qui sont proches d’elle. »

Quelques pistes pour sortir de l’isolement

  • Prendre en compte les troubles des personnes en consultant des professionnels de santé (vision, audition, langage, kinésithérapie)
  • Contacter les professionnels qui peuvent rendre visite à votre proche : auxiliaires de vie, associations, médecin traitant, assistante sociale 
  • Aider la personne, si elle le souhaite, à organiser des sorties : accueil de jour, clubs 3ème âge, sorties organisées 
  • Maintenir le lien avec les animaux de la personne
  • Favoriser les activités qui sont importantes pour votre proche

La pause dans la prise en soins

Parfois l’orthophoniste propose une pause dans la prise en soin. Grâce à la relation de confiance instaurée, cela est rendu possible. Comme le précise Fabienne, orthophoniste : « mon rôle est de redonner les moyens cognitifs, langagiers, et communicationnels pour que Léon puisse retisser un lien social, mais ce n’est pas mon rôle d’être le lien social de Léon ».

Léon est d’accord pour suspendre les séances d’orthophonie, il est bien entouré et sait qu’il peut se débrouiller seul. Même si son langage ne sera plus comme avant, il peut poursuivre les activités qu’il aime et profiter de ses proches. Il sait également qu’en cas de besoin, il peut refaire le point avec Fabienne, voire reprendre une prise en soins. Mais pour le moment, il est content de montrer qu’il peut s’en sortir seul.

Pour André et les autres, c’est dans le quotidien que l’on trouve les meilleures situations d’échanges et de stimulation. Lorsque ce lien aux autres est coupé parce qu’une personne a des troubles, il est important qu’il puisse rencontrer un professionnel pour l’aider à reconstruire les possibilités de remettre en place ce lien. L’orthophoniste peut aider les patients et leurs proches à mieux communiquer, à conforter le plus possible leurs capacités à mener leurs propres vies sociales et familiales comme ils l’entendent.