Les repas sont souvent un moment clé de la journée mais ils peuvent aussi devenir une source de stress pour les parents. Lorsqu’un enfant refuse de manger ou semble désintéressé, de nombreux parents vont utiliser des distractions comme un écran, un livre ou une comptine pour capter son attention et l’amener à avaler quelques bouchées de plus.
À court terme, cette stratégie peut sembler efficace : l’enfant mange de manière automatique et le repas se passe plus sereinement pour l’enfant et pour ses parents. Mais sur le long terme, cela peut avoir des conséquences sur sa relation avec l’alimentation et avec sa faim. Manger, ce n’est pas seulement ingérer des aliments, c’est aussi être curieux, découvrir des goûts, des textures, apprendre à écouter ses sensations de faim et de satiété.
De quoi a-t-il besoin pour apprendre à manger avec plaisir, sans écran ni tension ?
Explorons ensemble les impacts des distractions à table… et les alternatives.
Les distractions à table : une fausse bonne idée
Quand un enfant mange peu ou lentement, on a envie de l’aider. Allumer un dessin animé, raconter une histoire, chanter une comptine, faire le clown : ces astuces font souvent avancer le repas et gagner quelques cuillères de plus. L’enfant avale la bouchée qu’on lui donne de manière passive, la tension retombe et le repas se termine plus vite.
Cette efficacité repose sur un mécanisme simple : le cerveau se concentre sur le distracteur (l’image ou la chanson). Il ne traite plus les signaux envoyés par les saveurs, les odeurs et la texture de l’aliment. Il ignore aussi les messages internes de faim et de satiété, il est captivé, presque hypnotisé par ce distracteur devant lui.
À force de répéter cette stratégie, l’enfant associe le repas à un moment passif. Ce qui compte n’est plus ce qu’il mange, mais ce qu’il regarde ou écoute, et bien souvent c’est le parent qui lui donne à manger alors même qu’il pourrait le faire. Il découvre moins de goûts, ne développe pas sa motricité orale et n’exerce pas son autonomie alimentaire. Et avec le temps il lui faudra toujours plus de distraction pour manger une petite bouchée, alors on enchaîne : une chanson, un dessin animé, une danse… jusqu’à ce qu’on ne sache plus comment en sortir.
Chez certains enfants qui présentent des difficultés alimentaires, l’écran ou la comptine deviennent vite indispensables. Plus ils mangent en étant distraits, moins ils apprennent à réguler leur prise alimentaire et découvrir de nouveaux aliments. Le cercle vicieux s’installe : on multiplie les stratégies et les diversions pour qu’ils acceptent de s’alimenter, ils en deviennent dépendants, et leur compétence à manger de façon autonome stagne voire régresse.
Ce que l’enfant n’apprend pas quand il est distrait
Quand un écran ou une chanson capte son attention, l’enfant ne sent plus la faim ni la satiété qui s’installe. Il mange souvent davantage que son besoin réel, puis répète ce schéma à chaque repas.
La distraction visuelle (regarder ailleurs) empêche aussi l’exploration sensorielle. L’enfant ne voit pas la couleur d’une carotte, ne sent pas l’odeur du poisson et ne perçoit pas la différence entre croquant et fondant. Son répertoire alimentaire reste limité, la néophobie (peur de goûter de nouveaux aliments) persiste et la curiosité envers les aliments se développe moins vite.
Manger en pleine conscience entraîne la langue, les lèvres et les joues à mastiquer, déplacer et gérer les morceaux. Quand l’enfant ouvre la bouche de façon automatique, il exerce moins cette motricité fine ; cela ralentit l’acquisition des textures plus solides et peut retarder certaines compétences orofaciales (ensemble des mouvements de la langue, des lèvres et des joues nécessaires pour mastiquer, déplacer et avaler les aliments).
Le repas constitue aussi un terrain d’apprentissage verbal : décrire une saveur, demander de l’eau, écouter le tour de parole (les autres qui parlent). L’écran ou la distraction remplace ces échanges, il entend moins de vocabulaire lié aux aliments et ne pratique pas les règles sociales de la table.
La stratégie de la distraction apaise le repas aujourd’hui, mais elle prive l’enfant de multiples occasions de sentir, goûter, parler et décider. Ces expériences répétées sont pourtant la base d’une relation saine et autonome avec l’alimentation.
Alors, comment l’aider à s’intéresser au contenu de son assiette, sans écran et sans conflit ?
Susciter l’intérêt autrement
Pour qu’un enfant mange avec plaisir, il a besoin de comprendre, d’observer, d’apprendre, d’être curieux. Le distraire oui, mais avec le contenu de son assiette et les aliments.
L’objectif est de recentrer son attention sur son repas et de l’impliquer dans l’expérience alimentaire. Nous vous partageons ici quelques idées :
- Inviter l’enfant à explorer les aliments. Dès la diversification, laissez-le toucher la texture d’un morceau de pain, regarder la couleur de la purée ou sentir l’odeur d’un fruit coupé et parlez-lui de ce qu’il voit, touche, sent. Ces manipulations stimulent sa curiosité et préparent la dégustation.
- Jouer avec le contenu de l’assiette. Trier les petits pois d’un côté et les carottes de l’autre, rassembler les aliments par forme ou par couleur… on distrait aussi l’enfant, mais en le rendant curieux de ce qu’il a dans son assiette, et ça fait toute la différence.
- Impliquer l’enfant dans la préparation. Proposez-lui de rincer les tomates, de verser la semoule ou de mélanger la pâte à tarte. Cette participation donne envie de découvrir les ingrédients un par un et valorise ses compétences. Plus l’enfant se sent acteur, plus il accepte de goûter ce qu’il a préparé.
- Introduire chaque aliment séparément. Présentez les composants d’un plat avant de les assembler : un morceau de carotte, une cuillère de riz, un bout de poulet. L’enfant identifie la saveur de chaque ingrédient et peut décider ce qu’il veut goûter.
- Servir de petites portions et lui proposer de se resservir. Proposer une petite quantité permet à l’enfant d’écouter ses signaux internes (j’ai faim/ je n’ai plus faim). Et c’est encore plus fun s’il peut se servir lui-même. S’il a encore faim, il peut toujours se resservir.
- Utiliser un langage qui décrit. Au lieu de « Mange ta soupe ! », décrivez la sensation : « Miam, cette soupe est chaude et douce. ». Les mots qui décrivent la texture, la couleur et l’odeur enrichissent le vocabulaire alimentaire et encouragent l’exploration et la curiosité naturelle de l’enfant.
- Créer un environnement qui donne envie. Éteignez les écrans, mettez une assiette colorée ou un set de table que l’enfant a choisi. Idéalement on se retrouve à plusieurs sur le temps de repas pour partager, discuter. Le repas est un moment spécial qui nous met en lien les uns avec les autres.
- Respecter les signaux de faim et de satiété dès tout-petit. Chez le bébé, surveillez les premiers signes de désintérêt : tête tournée, lèvres closes, regard ailleurs. Insister régulièrement pour quelques gorgées de plus fausse ses repères et peut créer des difficultés alimentaires plus tard.
- Organiser des jeux sensoriels hors repas. Peindre avec du chocolat sur les doigts, sentir différentes épices ou transvaser des lentilles sèches dans un bac permet à l’enfant de découvrir les aliments sans enjeu de les consommer. Lorsque l’enfant retrouve l’aliment à table, il le reconnaît et l’accepte plus facilement.
- Un pas après l’autre. Changer les habitudes ça prend du temps, mais chaque petit pas compte : allumer la TV ok mais moins longtemps, ou que pour le dessert par exemple. Le plus important, c’est de redonner à l’enfant confiance en lui, en ses sensations et en sa capacité à manger à son rythme et de retrouver confiance aussi en tant que parent.
Mises en place petit à petit, ces pratiques remplacent les distracteurs externes et redonnent au repas sa fonction d’apprentissage, de plaisir et de partage familial.
Les distractions peuvent sembler utiles à court terme pour faciliter les repas mais elles empêchent l’enfant d’écouter ses sensations et de développer une relation saine avec l’alimentation. Pour l’aider à manger sereinement, mieux vaut le recentrer sur le contenu de son assiette et l’encourager à explorer les aliments avec curiosité. Si les repas sont compliqués, n’hésitez pas à en parler à votre médecin qui pourra vous prescrire un bilan orthophonique si nécessaire.