Qu’est-ce qui arrive à Nicolas ?

Est-il juste difficile et/ou mal élevé ? Comment le savoir ?

Nicolas a 4 ans. C’est un âge auquel de nombreux enfants sont méfiants vis-à-vis des nouveaux aliments. On parle de période de néophobie alimentaire. Ils peuvent aussi se montrer sélectifs de diverses manières : couleurs ou catégories d’aliments, textures, températures, odeurs. Tous les parents en ont fait l’expérience un jour. Ils ont pu constater que l’on ne peut pas forcer son enfant à manger. Pour certains enfants, ces difficultés sont anciennes et même le prolongement de troubles qui ont débuté dès les premiers jours de vie.

Le bilan chez l’orthophoniste peut se faire à tous les âges, même avec un nourrisson. Ce rendez-vous sera l’occasion d’évoquer toute l’histoire alimentaire de Nicolas, d’analyser ses difficultés, d’observer sa bouche mais aussi un repas. Finalement, avec ses observations et après avoir écouté Nicolas, l’orthophoniste pourra poser un diagnostic.
Ainsi, dans le cas de Nicolas, sa mère a expliqué qu’il n’avait commencé à se plaindre que vers 2 ans environ. Il avait été à l’aise au sein, au biberon et plus tard lors de la diversification et des premiers petits morceaux.
Les nombreuses questions de l’orthophoniste n’ont pas mis en évidence de problèmes de santé qui auraient pu entraîner un blocage (par exemple une hospitalisation, une longue convalescence après une gastro-entérite ou une angine avec vomissements et douleurs, un épisode de fausse route.)
De plus, il n’y a pas d’antécédent de tels troubles dans sa famille. Nicolas exprime sa faim. Il y a des aliments qu’il aime beaucoup, surtout si c’est mou.
L’observation de la relation entre Nicolas et sa maman, du repas partagé et les échanges avec l’orthophoniste montrent que ce petit garçon va bien. Il a une communication adaptée et il ne fait qu’exprimer combien c’est difficile de manger. Quand l’orthophoniste lui demande s’il aime manger, il répond non. Et pourquoi ? Parce que ça fait mal.

Alors est-ce un trouble de l’oralité ?

Il existe beaucoup de termes pour désigner les troubles alimentaires de ce type : trouble sensoriel de l’oralité alimentaire, syndrome de dysoralité sensorielle. Depuis quelques années on en parle même dans les magazines pédiatriques. Les médecins sont de plus en plus nombreux à être sensibilisés et ils ont compris que ce n’était pas qu’une question d’éducation ou d’âge. Après tout, des adultes ont les mêmes soucis et ils ne font pas de caprices !
Le trouble de l’oralité alimentaire est plutôt associé à des aspects sensoriels et l’entretien avec l’orthophoniste permet de mettre en évidence cette dimension. Ainsi, on retrouvera des profils d’enfants avec des réflexes nauséeux très importants, d’autres qui ne supportent aucune odeur ou au contraire ne semblent pas avoir d’odorat. Il sera intéressant aussi de savoir si le patient a d’autres troubles sensoriels. Par exemple : certains enfants ne supportent pas non plus de mettre des objets en bouche, de contacts sur la tête, le visage et les extrémités. Ce sont des enfants qui peuvent refuser de marcher pieds nus et /ou de toucher de nombreuses textures avec leurs mains (pâte à modeler, sable, herbe).
L’orthophoniste a également pu écarter un dysfonctionnement du voile du palais, d’autant plus que Nicolas n’a jamais eu d’otites ou de passages d’aliments par le nez.
Dans le cas de Nicolas, l’entretien n’a pas pu mettre en évidence de troubles de ce type. Seul un inconfort important est évoqué quand Nicolas doit avaler. C’est pourquoi, il fait souvent ressortir de la nourriture de sa bouche.

Et si ce n’est pas sensoriel, alors qu’est-ce qui peut expliquer les difficultés de Nicolas ?

Hormis le long entretien avec la mère, l’orthophoniste a observé Nicolas en train de manger. Il avait apporté des choses qu’il aimait bien (de la purée de carottes avec quelques morceaux de jambon, un yaourt nature), son assiette et ses couverts. L’orthophoniste a remarqué que Nicolas a bien mastiqué mais fait une grimace au moment d’avaler. Il n’a pas dû oser retirer sa purée de sa bouche chez « la dame ».
Surtout, avant de manger, l’orthophoniste a regardé dans sa bouche avec une lampe et a demandé à Nicolas de tirer la langue, de faire un grand /a/ et aussi de croquer plusieurs fois. Nicolas n’a pas encore vu un ORL.
Pourtant, ce petit garçon a d’énormes amygdales. D’ailleurs, il respire beaucoup par la bouche et peut ronfler la nuit. Sa mère avait demandé au pédiatre mais comme Nicolas n’était pas souvent malade, enrhumé, n’avait jamais d’otites et dormait plutôt bien, le pédiatre n’a pas estimé utile d’adresser son patient chez un confrère ORL en première intention.
L’orthophoniste a constaté que les amygdales étaient quasiment jointives : elles se touchaient presque. Il reste peu de place pour laisser passer les bouchées que Nicolas aimerait avaler. Il a donc pris l’habitude de se forcer, ou de retirer une partie de la nourriture ; ou encore de prendre de toutes petites bouchées qui ralentissent encore son repas.

Nicolas peut-il avoir un autre problème qui expliquerait ses difficultés à avaler ?

L’orthophoniste a pris soin de rappeler que c’est normal de mâcher longtemps quand on est un enfant et que cela va durer encore plusieurs années. Elle a aussi éliminé d’autres raisons possibles à des troubles alimentaires a priori non sensoriels. Tous ces soucis peuvent être à l’origine d’une difficulté à manger des morceaux ou à avaler.

Le frein de langue

C’est la petite peau translucide visible sous la langue. Si ce frein est trop court, la langue est retenue en bas (au plancher buccal). Un frein court peut expliquer des difficultés d’alimentation dès les premières heures de vie. Ainsi, cela peut compromettre un allaitement et il peut alors être recommandé de le sectionner.
En tout début de vie, le frein est très fin et ce geste chirurgical se fait sans anesthésie. Dès la maternité, le médecin peut le faire ou demander une consultation chez un médecin qui a l’habitude de ce geste : ORL, stomatologue, chirurgien maxillo-facial.
Certains enfants vont s’adapter mais rencontrer des difficultés lors de la diversification, en particulier lors du passage aux morceaux. En effet, la langue sert aussi à aller rechercher les aliments logés dans les joues ou les dents, à les rassembler et enfin à les envoyer vers la gorge. L’enfant, se sentant mal à l’aise avec les morceaux, peut les refuser. Cela peut être une indication à la freinectomie (sectionner le frein et libérer la langue dont parfois la pointe est en forme de cœur).

Les dents et l’articulé dentaire (ensemble des deux mâchoires haute et basse) :
ils sont très importants pour parler et manger.

Les dents et les caries

Tous les adultes savent aussi combien les problèmes dentaires peuvent être douloureux. Or, certains parents ne sont pas conscients que leurs enfants ont déjà plusieurs caries, ou ne savent pas les reconnaître avant qu’elles soient noires. Par exemple, les enfants qui grignotent beaucoup et surtout qui ont des biberons sucrés (jus de fruits, sirops, sodas, miel, sucre, Redbull…) peuvent développer des caries très tôt. De même, les biberons sucrés ou biberons de lait laissés dans le lit des enfants vont inciter ceux-ci à les garder en bouche. On pourra constater des caries même avec du lait maternel. Une bonne hygiène dentaire dès la première dent et l’absence de sucres ajoutés constituent également une prévention des troubles alimentaires.

La béance dentaire

La présence d’une béance dentaire due à une succion prolongée de tétine ou de pouce ou d’un doudou, est un espace entre les incisives du haut et du bas. Cet espace rend impossible l’action de couper/croquer et gêne aussi l’alimentation.

L’occlusion dentaire :

Occlusion normale : la mâchoire du haut est un peu plus large que celle du bas et la recouvre un peu quand l’enfant ferme sa bouche.
Quand les dents du haut recouvrent trop celles du bas, ou si elles sont trop en avant, l’enfant est gêné pour mâcher ou mastiquer. Enfin, il existe des articulés dentaires inversés. Dans ce cas, la mâchoire du bas est plus avancée que celle du haut et il est impossible d’utiliser normalement les dents. Manger peut s’avérer alors douloureux et on se contentera de gober.

L’orthophoniste a fait son diagnostic au regard des échanges et des observations de son patient. Dans le cas de Nicolas, elle a pu écarter un trouble sensoriel. Elle a mis en évidence que les amygdales gênaient la déglutition, mais pas l’articulation des sons. En effet, Nicolas parle très bien et dit bien les sons K G R qui peuvent être difficiles à acquérir dans de telles circonstances.

Les troubles alimentaires chez l’enfant sont fréquents. Quand ils interviennent après la diversification alimentaire, (introduction des purées et des morceaux) il est important d’écarter les causes anatomiques.

L’orthophoniste a donc orienté son patient chez un ORL. La mère de Nicolas pourra apporter le compte-rendu rédigé pour expliquer le diagnostic de l’orthophoniste. L’ORL vérifiera aussi que les amygdales n’ont pas d’autres retentissements et que les végétations ne sont pas aussi concernées.
En cas de frein de langue restrictif (trop court ou qui limite la mobilité de la langue), l’orthophoniste orientera la famille vers un chirurgien maxillo-facial ou stomatologue, de préférence.
Si les troubles sont liés à des caries ce sera le dentiste qui traitera l’enfant. Si l’articulé dentaire n’est pas correct, il est nécessaire de consulter un orthodontiste. Dans ces deux derniers cas, le plus tôt est le mieux.