Et bien parfois, le chantage, ça peut aider. Lorsque l’enfant n’a pas de difficulté alimentaire, le repas est un moment de plaisir pour toute la famille. C’est un moment très précieux où l’on peut discuter, rire, débattre, échanger, découvrir de nouvelles saveurs. Mais quand les repas deviennent difficiles, les parents cherchent des idées pour aider leur enfant à traverser certaines périodes difficiles. Ils vont utiliser un jeu, un livre, une récompense ou des négociations. Selon les enfants, certains vont traverser ces périodes facilement, d’autres vont refuser certains aliments ou certaines textures comme les morceaux.

Les périodes alimentaires difficiles

Le passage à la cuillère
Le premier moment qui peut être compliqué est le passage à la cuillère entre 4 et 6 mois car le changement est important. Le bébé passe du lait (au biberon ou au sein) à une alimentation avec une texture et un goût différents, donnés dans une cuillère. L’installation au repas évolue également. Au biberon ou au sein, le bébé est souvent dans les bras de l’adulte alors qu’à la cuillère, il est assis dans un transat puis une chaise haute. C’est donc beaucoup de changements en peu de temps. Parfois, le bébé tourne la tête, recrache la purée, il refuse l’installation proposée. Il peut montrer des hauts-le-coeur et se mettre à pleurer. Les parents vont tenter de modifier l’installation, les cuillères, les textures plus lisses et rendre le repas plus chaleureux et plus amusant. 

Le passage aux morceaux
Vers 8-9 mois, la texture des aliments commence à varier. Des petits morceaux sont mélangés à la texture lisse des purées. C’est à cet âge que l’on commence à proposer un morceau de pain ou un boudoir. En même temps, le bébé découvre de plus en plus de nouveaux goûts. Il va ainsi avoir une alimentation de plus en plus variée, que l’on appelle le panel alimentaire. Parfois le bébé montre des hauts-le-coeur avec les morceaux, il refuse peut-être de toucher les aliments, il est sélectif avec les fruits et les légumes (alimentation fibreuse.)  Les parents vont tenter de rendre le repas amusant,  de modifier la texture. Ils proposent au bébé des aliments qu’il aime. Finalement le panel alimentaire se réduit. 

Panel et néophobie alimentaire

Chaque jour, l’enfant va découvrir de nouvelles textures et de nouveaux goûts. À partir de 18-20 mois, il n’est plus nécessaire de transformer la texture des aliments proposés. L’enfant peut alors manger comme sa famille, sauf les petits aliments durs (bonbons, cacahuètes) qui pourraient le mettre en danger avec des risques d’étouffement.
À cet âge, l’enfant entre dans la période de néophobie alimentaire. La néophobie est la peur de l’aliment nouveau. C’est une période normale. 90% des enfants entre 19 et 36 mois traversent une période de néophobie plus ou moins forte. C’est pendant cette période que les enfants se méfient des nouveaux aliments, se détournent des légumes et des fruits. Ils peuvent développer un comportement d’opposition à table mais aussi en dehors des repas (crise des 2 ans ou « terrible two »). Que faire ?

Les stratégies pour aider l’enfant

Faut-il laisser l’enfant qui s’oppose ne manger que ce qu’il souhaite ? Oui et non. Oui, il faut respecter ses goûts pour qu’il ait du plaisir à manger. Non, il ne faut pas lui donner que ce qu’il veut. Si on le laisse uniquement dans sa zone de confort, il restera dans un panel alimentaire peu varié. S’il ne mange que quelques aliments préférés, il ne pourra pas manger dans différentes situations (restaurant, crèche, cantine). Il faut donc l’aider à découvrir le nouveau pour l’aider à grandir. Cela doit se faire sans forçage, tout en restant dans le plaisir et la bienveillance.

Quelles stratégies utiliser ?

Le plus simple est de mettre dans l’assiette un aliment aimé avec un nouvel aliment et de les donner ensemble. Cela va permettre de rassurer l’enfant avec un goût connu.
L’enfant goûtera plus facilement s’il voit l’adulte goûter devant lui. C’est alors l’occasion pour l’adulte de donner envie à l’enfant, de faire comme lui, en rendant la situation amusante : «Mmmm, ça croque, miam !».

Si l’enfant est réticent ou montre des hauts-le-cœur ou une autre réaction de dégoût, on pourra détourner son attention. On peut lui parler d’autre chose (sa journée, une activité). On peut regarder un petit livre qui permettra de manger l’aliment difficile sans trop s’en rendre compte. Le livre est préférable aux écrans car l’enfant est en contact avec l’adulte et peut échanger sur ce qu’il voit, pointer les images et manipuler les pages. Comme le livre, l’écran permet à l’enfant de manger plus facilement mais il isole l’enfant de toute la communication en famille pendant le repas. Les écrans ne doivent donc pas être utilisés ou alors à très petite dose, en dernière intention pour aider l’enfant à mieux manger, et surtout pas chaque jour. 
Si l’enfant a besoin de manipuler, on peut utiliser des jouets. Le mieux est de choisir des jouets ayant un lien avec le repas (dînette, couverts).
Parfois, malgré plusieurs essais, l’enfant ne veut toujours pas goûter ou manger. Les adultes se mettent à faire du «chantage».

Le «chantage»

Le chantage est une stratégie qui utilise la motivation de l’enfant pour obtenir quelque chose d’agréable. C’est à dire que l’enfant ne va pas trouver lui-même la motivation mais devra faire une action pour obtenir une «récompense». Les parents vont négocier avec l’enfant pour l’inciter à manger. On appelle la récompense un «renforçateur» car l’objectif est de renforcer l’enfant, c’est à dire de l’encourager pour qu’il refasse la même action plus facilement une prochaine fois. On va utiliser un renforcement positif : dès que tu as mangé cette bouchée, tu obtiens … plutôt qu’un renforcement négatif : «si tu ne manges pas ça, tu n’auras pas ça». On accompagne avec bienveillance plutôt qu’avec une menace. L’objectif est de rester dans une ambiance positive pour que l’enfant ait envie de faire les choses sans trop de pression ni contrainte. L’ambiance pendant les repas aura une influence et modifiera en bien ou en mal le comportement alimentaire des enfants. 

Au moment des repas, les enfants peuvent parfois avoir du mal à goûter ou à manger certains aliments. Pour que leur bouche s’habitue aux nouveaux goûts ou aux nouvelles textures, il faudrait qu’il mange un aliment de nombreuses fois. La recherche nous montre qu’il faudrait avoir goûté un aliment entre 20 et 25 fois dans la petite enfance pour savoir si on l’aime vraiment ou pas. Alors pour les encourager à le faire, motiver les enfants va les aider à goûter de nouveaux aliments.

Le renforçateur (la récompense)

Le renforçateur peut être alimentaire (chips, morceau de chocolat) ou bien un moment de jeu avec papa et/ou maman : faire des bulles, jouer aux cartes, partager un moment unique de complicité. On pourra utiliser tout ce qui va être motivant pour l’enfant.
L’objectif va être de lui permettre d’oublier un peu sa peur face à l’aliment en pensant à la récompense. Ainsi, il va manger quelque chose qu’il ne voulait pas manger et permettre à sa bouche de faire des découvertes sensorielles.

Ensuite, il faudra continuer à lui proposer l’aliment difficile qui deviendra peu à peu un aliment connu. Le renforçateur disparaîtra car l’enfant n’aura plus peur, il sera habitué au nouvel aliment.
Il est donc complètement normal pour un parent de vouloir que son enfant mange des aliments variés. Le chantage ou renforcement positif est donc une stratégie possible mais à condition que ce qui est demandé à l’enfant soit réalisable. Le chantage ne doit pas être une menace. L’objectif de l’adulte doit être de mettre l’enfant en réussite pour qu’il ait la récompense. On demandera une première fois à l’enfant de goûter une seule bouchée d’un légume. Le but est de donner l’envie à l’enfant de recommencer une autre fois. S’il réussit, on pourra, lors d’un autre repas, lui proposer de goûter deux bouchées. On augmentera les quantités du nouvel aliment très progressivement. Chaque réussite sera récompensée par un renforçateur. 

Et si malgré tout :

  • Si malgré des essais, l’enfant est réticent à manger des aliments nouveaux
  • S’il a un panel alimentaire peu varié
  • S’il n’a pas de plaisir à manger
  • Si les repas en collectivité sont difficiles voire impossibles
  • Si les repas à la maison sont source d’angoisse,
  • Si les repas sont très longs (supérieurs à 30 min).

Le médecin traitant jugera de l’intérêt d’orienter vers un bilan orthophonique. Ce bilan fera le point sur l’histoire alimentaire de l’enfant et sur la situation alimentaire actuelle. Il permettra d’identifier ou non un trouble alimentaire pédiatrique (appelé aussi trouble d’oralité alimentaire) et si besoin de proposer des séances de soins afin d’accompagner l’enfant et ses parents sur les difficultés identifiées.

Pour conclure, le «chantage» peut être tout à fait sain s’il permet à l’enfant de passer le cap de goûter un aliment. On remplacera le «chantage» par le «renforcement positif» . L’adulte accompagne l’enfant dans la découverte du nouveau pour lui permettre de grandir avec l’aide d’un renforçateur (récompense). En alimentation, l’enfant va être souvent confronté au nouveau. L’adulte va donc trouver des stratégies pour aider l’enfant à oser goûter. Le «renforcement» en fait partie à condition que la demande soit réalisable par l’enfant (petits objectifs) et que tout se fasse dans la bienveillance.