Elle a souvent ce genre de désagrément et d’habitude tout rentre dans l’ordre au bout d’une semaine environ. Mais là, c’était douloureux et de plus en plus gros. Au bout de trois semaines, elle a consulté son médecin traitant qui l’a envoyée voir un médecin spécialiste : un chirurgien maxillo-facial. Celui-ci a bien observé la bouche de Lucile puis a fait un petit prélèvement sous anesthésie. Le prélèvement a été envoyé dans un laboratoire pour analyser son contenu. Malheureusement, la lésion de Lucile est un cancer. Lucile mène une vie saine, ne fume pas et ne boit de l’alcool qu’occasionnellement. C’est une jeune femme de 24 ans, elle est porteuse d’un cancer rare.

Le diagnostic

Le chirurgien a fait venir Lucile avec son compagnon, pour lui annoncer le diagnostic et lui expliquer qu’elle allait passer des examens complémentaires avant de se faire opérer. C’est important d’être deux à ce rendez-vous, il est difficile de tout comprendre et retenir après le choc de l’annonce. Lucile va effectuer un scanner puis un TEP scan qui sont des examens d’imagerie médicale permettant de bien connaître la taille de la tumeur et sa localisation exacte, mais aussi d’évaluer si le cancer se propage à distance de la langue. Le but est de proposer les traitements les plus adaptés afin que Lucile soit bien soignée. Certains patients doivent bénéficier d’une radiothérapie et parfois d’une chimiothérapie après l’opération. En cancérologie, le parcours médical est discuté par plusieurs professionnels de santé afin de proposer les meilleurs soins : les médecins se réunissent pour réfléchir à la solution la plus efficace, en respectant les protocoles et les recommandations de bonnes pratiques. Le patient peut décider de suivre ou de refuser les traitements proposés.

Le chirurgien parle aussi à Lucile des soins qui seront nécessaires après la chirurgie, et notamment des séances d’orthophonie qui lui permettront de recommencer à parler et à manger.

Que va-t-il se passer pour Lucile lors de l’opération ?

Lucile va être endormie et le chirurgien va retirer la tumeur. Comme celle-ci est assez volumineuse, il va falloir reconstruire la langue de Lucile avec un «lambeau», qui est une sorte d’auto-greffe : le chirurgien de Lucile a plusieurs possibilités et il choisit de prélever un petit morceau de cuisse qui servira à remplacer le morceau de langue qui a été enlevé. Durant l’intervention, les ganglions lymphatiques du cou vont aussi être en partie retirés afin d’être analysés.

À partir de l’opération, Lucile sera nourrie grâce à un petit tuyau qui amène les aliments directement dans son estomac, sans passer par la bouche. Cela s’appelle une gastrostomie. Elle ne pourra en effet pas manger par la bouche avant quelques semaines.

A quoi sert la langue ?

Notre langue a plusieurs rôles. Nous allons ici détailler principalement des tâches dédiées à l’alimentation et à la parole, même si la langue a bien d’autres utilités.

Durant les repas, la langue permet d’emmener les aliments entre les arcades dentaires pour qu’ils soient mastiqués. C’est encore elle qui rassemble les aliments éparpillés en bouche, formant ainsi le « bol alimentaire » qu’elle va propulser vers la gorge pour être avalé. Sur la langue se situent aussi les papilles gustatives qui donnent des informations sur les aliments que nous mangeons (c’est sucré, salé, acide, amer…). La langue a un rôle moteur et un rôle sensitif.

Notre langue nous sert à manger mais aussi à parler. Lorsque nous nous exprimons, nous utilisons plusieurs articulateurs. Les principaux sont les lèvres, la langue et le voile du palais (le palais mou). De nombreux sons ont besoin de la langue pour être prononcés correctement, par exemple le t, le k, le z…. Parfois la pointe de la langue va aller vers l’avant de la bouche, parfois c’est le dos de la langue qui va reculer. Bien parler demande une précision et une certaine rapidité des mouvements de la langue.

La chirurgie et ses impacts

Une chirurgie de la langue va avoir un impact à la fois sur les repas mais aussi sur la parole. En fonction de la sévérité de l’opération et éventuellement des traitements complémentaires, les conséquences peuvent être plus ou moins lourdes. Quand la zone opérée est de petite taille et qu’aucune radiothérapie/chimiothérapie n’est nécessaire, certains patients peuvent parfois manger par la bouche dès le lendemain de l’intervention, et l’articulation sera plutôt bonne, avec le plus souvent une petite perte de précision sur certains sons. En revanche, si la chirurgie est importante, s’il y a un lambeau, des traitements complémentaires, il faudra du temps pour reprendre une alimentation diversifiée par la bouche et la parole sera plus sévèrement touchée, avec des troubles articulatoires qui peuvent durer toute la vie.

Suivi avec l’orthophoniste

Lucile rencontre l’orthophoniste quelques jours après sa chirurgie. Elle a été opérée il y a 3 jours. Elle a de la chance qu’il y ait une orthophoniste dans le service, ce n’est malheureusement pas le cas partout. L’orthophoniste commence le suivi durant l’hospitalisation  afin d’évaluer les fonctions de la langue et de débuter la mobilisation. La langue va devoir réapprendre à effectuer des mouvements précis, rapides, avec une certaine amplitude, pour pouvoir assumer ses fonctions alimentaires et articulatoires. Lucile va être accompagnée autant que nécessaire afin de retrouver une utilisation correcte de sa langue. Elle va s’entraîner plusieurs fois par jour, faire bouger sa langue, la masser, en suivant les indications de l’orthophoniste.

L’orthophoniste travaille en lien étroit avec le chirurgien, cancérologue (l’oncologue), le diététicien qui gère l’alimentation par la sonde, mais aussi avec des kinésithérapeutes, infirmiers, psychologues et le médecin généraliste. Une fois que Lucile sera sortie de l’hôpital, il faudra qu’elle continue son suivi avec un orthophoniste de ville jusqu’à ce qu’elle puisse utiliser sa langue de façon satisfaisante au quotidien. En fonction de la chirurgie et des traitements proposés, cela peut prendre de quelques semaines à plusieurs mois. Elle verra aussi les autres professionnels dont elle a besoin : kinésithérapeute, diététicien, psychologue.

Après une chirurgie de la langue, la reprise de l’alimentation par la bouche est progressive ; on commence généralement par les aliments les plus faciles à déglutir, donc des aliments mous, voire liquides. Et on diversifie les textures au fur et à mesure de la progression, le but étant de retrouver une alimentation la plus normale possible. Les traitements complémentaires (radiothérapie et chimiothérapie) ont des conséquences importantes sur l’alimentation, l’orthophoniste est là pour accompagner les patients en fonction de leur parcours de soins.

La surveillance

À distance de l’opération, Lucile va revoir son chirurgien, mais aussi l’oncologue (médecin qui travaille en cancérologie) si elle a besoin de traitements complémentaires comme la radiothérapie ou la chimiothérapie. Elle passera régulièrement des examens comme des scanners, qui vont s’espacer au fil des mois et des années.

Les lésions de la bouche sont le plus souvent bénignes et passagères. Lorsqu’elles sont là durant plus de 3 semaines, une consultation chez le médecin traitant s’impose, en gardant en tête qu’il existe des facteurs de risque comme l’alcool et le tabac et que la plupart des cancers de la bouche apparaissent après 50 ans. Le médecin traitant peut demander un avis à un médecin spécialiste, qu’il soit ORL (oto-rhino-laryngologiste) ou chirurgien maxillo-facial.

Chaque parcours de soins est différent, certains patients ont des traitements complémentaires (radiothérapie, chimiothérapie) et d’autres non. Les orthophonistes sont au cœur de la réhabilitation des différentes fonctions après un cancer de la sphère «tête et cou».