Lucie a 45 ans. À 3 semaines de l’opération elle ne retrouve pas sa voix habituelle et elle appréhende de retourner au travail : en tant que téléconseillère dans les assurances, elle parle au moins 5h par jour et elle craint de ne pas pouvoir suivre le rythme.
Qu’est ce que la thyroïde ?
La thyroïde est une glande en forme de papillon, mesurant environ 6 cm de haut et de large ; elle est située vers le bas du cou, juste en-dessous de la pomme d’Adam (cartilage thyroïde).
C’est une glande qui produit des hormones ayant notamment un rôle sur l’humeur, la température du corps, le poids, et le transit. Derrière cette glande se trouvent les nerfs « récurrents », qui permettent aux cordes vocales de s’ouvrir et de se fermer. Certaines maladies de la thyroïde nécessitent une intervention chirurgicale visant à enlever tout ou partie de la glande. C’est ce qu’on appelle une thyroïdectomie, totale ou partielle. Selon l’opération réalisée, le patient devra éventuellement prendre des traitements hormonaux qui remplacent les hormones habituellement produites par la glande.
Comment fonctionne la voix ?
La voix est un instrument à vent. Nous avons deux cordes vocales, qui sont situées à l’horizontale au milieu du cou, en haut de la trachée, dans ce qu’on appelle le larynx. On peut les sentir vibrer lorsque l’on pose un doigt sur la pomme d’Adam et qu’on fait un « aaaa » un peu long. Quand on veut parler, l’air des poumons est expulsé ; il va remontrer dans la trachée et rencontrer les cordes vocales qui vont se rapprocher et vibrer. Le son va ensuite être amplifié par toutes les cavités (résonateurs) situées au-dessus du larynx comme la gorge, le nez. C’est ce qui explique que notre voix change quand on est enrhumé : nos résonateurs se sont temporairement modifiés). Les cordes vocales forment un V pendant la respiration, et se rapprochent quand on parle mais aussi à la déglutition. Elles sont toutes petites (environ 12-17mm chez la femme et 17-23mm chez l’homme) et s’étirent et vibrent plus rapidement pour faire des sons aigus. Le nerf qui permet aux cordes de se rapprocher pour vibrer est le nerf récurrent ou nerf laryngé inférieur qui passe à l’arrière de la glande thyroïde. Le nerf laryngé supérieur est, quant à lui, responsable de la sensibilité d’une partie du larynx mais aussi de l’étirement des cordes vocales (il sert donc dans la déglutition et dans la production des sons aigus).
Quelle peuvent être les conséquences de la chirurgie de la thyroïde sur les cordes vocales ?
Pour un petit nombre de patients (5% en moyenne), la chirurgie aura des conséquences sur la voix (on appelle cela dysphonie), mais aussi parfois sur la respiration ou sur la déglutition. Le plus souvent, seule une corde est paralysée.
De façon très exceptionnelle, on peut avoir les deux cordes paralysées, et parfois ce sera en position de fermeture. Dans ce cas, le chirurgien pratique immédiatement une trachéotomie (trou à la base du cou) qui va permettre au patient de respirer.
Le plus fréquemment, en cas de paralysie unilatérale (d’un seul côté) ce sont des troubles de la voix qui vont inquiéter les patients. La voix peut être soufflée, voilée, éraillée, parfois plus aiguë que la normale, mais surtout peu efficace et fatigante à produire. Le patient peut aussi ressentir un essoufflement lorsqu’il marche rapidement ou qu’il monte un escalier, et faire des fausses routes (avaler de travers), les cordes vocales ne se rapprochant pas suffisamment pour protéger la trachée pendant la déglutition.
Dans quelques cas, si une partie supérieure du nerf est atteinte, le trouble de la voix sera généralement discret (par exemple, impression que la voix ne peut pas monter dans les aigus). Exceptionnellement, la voix pourra aussi être nasonnée, et la déglutition perturbée par des aliments qui paraissent stagner dans la gorge.
Que faut-il faire ?
La première chose à faire est de consulter un ORL ou un phoniatre (médecin spécialisé dans les troubles de la voix) de toute urgence, que la chirurgie ait été effectuée par l’ORL ou par un autre chirurgien, via le médecin traitant si besoin, pour voir s’il y a paralysie et ne pas mettre en place de comportements vocaux néfastes à moyen et long terme.
Que va –t-il se passer après le rdv ORL ?
Si une immobilité de la corde a été constatée par l’ORL ou le phoniatre, un bilan et une rééducation orthophoniques seront préconisés.
Que va faire l’orthophoniste durant le bilan et les séances ?
Durant le bilan, l’orthophoniste va poser beaucoup de questions sur l’utilisation de la voix au quotidien, qu’il s’agisse des activités professionnelles, familiales ou de loisirs. Puis il va écouter et enregistrer la voix, en notant ses caractéristiques de timbre (éraillé, soufflé, voilé), de hauteur (grave ou aiguëe), d’intensité (forte ou faible). Il va aussi voir si le geste vocal est fait de façon équilibrée, en étudiant divers paramètres: posture, respiration, utilisation des cavités de résonance, noter si la voix est efficace, fatigable, et bien sûr interroger le patient sur ses antécédents médicaux et chirurgicaux, sur sa consommation d’alcool et de tabac. Le patient sera souvent invité à remplir une grille d’auto-évaluation de sa voix, qui permet de rendre compte de sa gêne au quotidien. Un examen de la déglutition pourra aussi être envisagé s’il y a des difficultés à ce niveau. L’orthophoniste va ensuite expliquer le fonctionnement de la voix et les bases de la rééducation. L’orthophoniste se mettra au besoin en contact avec l’ORL pour avoir un compte rendu précis de l’examen pratiqué précédemment.
Durant les séances, dont la périodicité va dépendre des troubles constatés et du protocole de soins choisi par l’orthophoniste, certains praticiens travailleront sans équipement particulier, d’autres utiliseront du matériel spécifique (logiciels, paille, etc) ; d’autres vont choisir des manipulations non douloureuses sur le larynx. L’orthophoniste va adapter son suivi au patient et à la progression et donner des conseils pour bien soigner la voix au quotidien. La rééducation ne va pas permettre de faire bouger la corde immobile, mais éviter qu’elle ne s’atrophie trop. Elle va surtout apprendre à la corde saine à bien faire son travail de compensation. En parallèle, l’orthophoniste et le patient vont réfléchir à d’éventuels aménagements nécessaires durant la période de dysphonie, que ce soit au travail ou à la maison.
Les éventuelles difficultés dans l’alimentation (le plus souvent des fausses routes), seront travaillées également en séance, de façon prioritaire, en adaptant la posture pour manger et parfois les textures alimentaires.
Que peut-on attendre de la rééducation orthophonique en cas de paralysie récurrentielle ?
La première chose que l’on peut attendre, c’est un confort vocal avec diminution du forçage qui risque de se mettre en place. Bien sûr on attend une amélioration de la voix en elle-même, afin que le patient retrouve un timbre proche de sa voix antérieure. Si le nerf est coupé, la conduction nerveuse ne se fera plus jamais et l’on compte sur une bonne compensation de la corde mobile. Si le nerf a été abîmé, il se peut qu’il y ait une récupération neurologique, mais cela peut prendre longtemps et reste aléatoire. Il faut donc s’appuyer sur la rééducation et sur les exercices que l’orthophoniste demandera de pratiquer plusieurs fois par jour. Au bout d’un certain nombre de séances (10, 20, 30 ou plus selon le tableau initial), l’orthophoniste et le patient vont évaluer le confort vocal et le résultat acoustique obtenus, et on prévoira au besoin un contrôle chez l’ORL ou le phoniatre. En cas de récupération insuffisante, d’autres options pourront être proposées (injection de graisse dans une corde, chirurgie visant à rapprocher mécaniquement la corde). Ces solutions sont le plus souvent à envisager dans un second temps, en concertation entre le patient, l’ORL et l’orthophoniste.
En conclusion, les troubles de voix qui peuvent survenir après une chirurgie de la thyroïde demandent à être pris en charge en priorité, par une équipe pluri-disciplinaire (ORL ou phoniatre/ orthophoniste) en lien avec le médecin traitant. La plupart des patients connaîtront une bonne récupération avec la prise en charge orthophonique, qui doit être précoce et régulière.